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Eric PIERRE

L'influence méconnue de la philosophie sur nos vies

Nos choix dépendent d'abord de notre philosophie.



Certes, avec son langage obscur et son air sévère, la philosophie donne parfois l’image d’une discipline peu accueillante, bien éloignée des préoccupations des gens. Une discipline austère qui semble nous inviter à rester derrière le seuil de sa porte. Une discipline qui prétend expliquer le comportement de tous mais qui donne parfois le sentiment de ne vouloir être comprise par personne.




Et pourtant, comme le sucre dans le café, la philosophie est partout. Si vous faites partie de ceux qui pensent vivre très loin des philosophes et de la philosophie vous risquez d’être surpris. Prenons quelques problématiques existentielles au hasard, et vous allez découvrir deux choses. D'une part combien elles vous sont familières et, d'autre part, à quel point vous aurez un avis sur la plupart de ces sujets. Pas un avis anecdotique et secondaire mais un avis tranché et prépondérant qui déterminera vos décisions, vos attentes et vos revendications.


On s'en fait une montagne mais, le plus souvent, la philosophie consiste à se poser des questions simples. Très simples. Et, selon que nous répondrons par l’affirmative ou par la négative ces questions – c’est stupéfiant – des pans entiers de notre vie pourront basculer. D’un simple « oui » ou d’un simple « non » vont dépendre nos choix et nos comportements. Voyez vous-même. Quelles sont vos réponses face à ces trente-cinq problématiques existentielles prises au hasard ci-dessous et quelles conséquences drastiques entraînent-elles dans votre quotidien ? Quel rôle vont-elles jouer et quelle sera leur influence les jours d’élections, au moment de glisser votre bulletin dans l’urne ?


  1. L’argent fait-il le bonheur ?

  2. La fin justifie-t-elle les moyens ?

  3. Faut-il travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?

  4. Toute vérité est-elle bonne à dire ?

  5. Ma liberté s’arrête-t-elle où commence celle des autres ?

  6. L’humanité se divise-t-elle en deux : les entourloupeurs et les entourloupés (plus communément désignés comme les « baiseurs » et les « baisés ») ?

  7. Tricher est-il un moyen de réussir comme un autre ?

  8. Faut-il tolérer l’intolérance ?

  9. Faut-il autoriser le divorce, l’avortement ou l’euthanasie ?

  10. Les hommes et les femmes sont-ils égaux en droits ?

  11. Qu’est-ce que la normalité et jusqu’où est-elle désirable ?

  12. Qu’est-ce que la décence et jusqu’où ai-je le droit de séduire ?

  13. Puis-je faire commerce de mon corps ?

  14. Le désir extra-conjugal est-il une trahison ?

  15. Toutes les croyances et toutes les cultures sont-elles respectables ?

  16. Quelle légitimité pour les violences parentales ?

  17. Quelle légitimité pour les violences policières ?

  18. La société doit-elle se porter au secours des plus faibles ?

  19. Jusqu’où l’Etat peut-il restreindre ma liberté ?

  20. Faut-il fixer des limites à la liberté d’expression ?

  21. Puis-je soutenir le capitalisme et ses valeurs mercantiles ?

  22. Puis-je rêver d’un monde égalitariste, sans une tête qui dépasse ?

  23. La souffrance humaine est-elle plus respectable que la souffrance animale ?

  24. Celui qui a donné la mort mérite-t-il de la recevoir ?

  25. Peut-on tuer pour se défendre ?

  26. Le patriotisme est-il un noble sentiment ?

  27. Quelles raisons valables de croire en Dieu ?

  28. Puis-je me conduire en carnivore et me nourrir du corps des vivants ?

  29. Faut-il diffuser les œuvres des artistes indignes ou criminels ?

  30. Faut-il fixer des limites à l’enrichissement personnel ?

  31. Le talent est-il admirable ?

  32. Peut-on agir contre nature ?

  33. Tout est-il pardonnable ?

  34. Qu’est-ce que la justice ?

  35. La misère est-elle une circonstance atténuante ?


En douceur, sans forcément nous en apercevoir, quelque part dans les profondeurs de notre inconscient, nous passons le bac de philosophie tous les jours. Plusieurs fois par jour. Sans cesse la vie nous interpelle et nous somme d’arbitrer. Et pourtant, malgré le foisonnement et la diversité de nos opinions personnelles, ne cherchez pas de réponses à ces questions, elles n'existent pas. N'existent que les postulats et les hypothèses. N'existe que la spéculation.


La philosophie n'est pas une science, elle n'est qu'un art. L'art du discernement et de percer le voile des apparences. L'art de dépasser les biais cognitifs [1] c’est-à-dire les émotions, les instincts et les préjugés. L’art de connaître les limites de ce que je sais et de ce que je suis. L'art de penser contre soi-même et de savoir pourquoi je pense ce que je pense. L'art du doute et de la remise en question. L’art de distinguer le vraisemblable de l’invraisemblable. L'art de sonder l'âme humaine pour l'installer dans un costume à sa mesure. L’art d’imaginer le monde idéal, le monde dans lequel nous avons envie de vivre.


C’est tout à fait déconcertant et totalement vertigineux, toutes les options sont ouvertes. Chacun fait sa tambouille et, finalement, il existera probablement autant de philosophies que de philosophes.


Comme Socrate, comme Platon, comme Aristote [2], on rêve parfois de vérités absolues rendues certaines et irréfutables par la force implacable de la bonne foi, de la logique et du bon sens mais, en réalité, les questions philosophiques ne possèdent aucune réponse. Aucune réponse incontestable. Aucune réponse gravée dans le marbre, et dans un marbre qui nous serait accessible. Aucune réponse en dehors de celles que nous voulons bien leur donner.



Carte blanche


C’est tout le défi et toute la complexité de la condition humaine. Tel des suricates à l’affût, inquiets, dressés sur nos pattes arrière, les oreilles et les yeux grands ouverts, tous les sens en alerte, on cherche à savoir, on cherche à comprendre. Mais la vie nous est livrée en kit, sans plan de montage ni mode d’emploi. On tâtonne. On bricole. Chacun y va de sa théorie mais personne pour savoir. Aucun secours possible. Il faudra traverser l’existence en compagnie de milliards d’individus comme nous… Tout aussi perdus que nous. Une foule immense arrivée là sans savoir comment ni sans savoir pourquoi.


Ma robe n’est-elle pas trop courte ? Puis-je autoriser mon fils de 14 ans à passer la nuit avec sa petite amie ? Puis-je avouer à mon interlocuteur que sa conversation m’ennuie ? Puis-je traverser ce village à grande vitesse au volant de mon bolide ? Puis-je confier la garde de mes vieux parents à une maison de retraite ? Qu’est-ce qu’un salaire honnête ? Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime ?


De notre tenue vestimentaire à l’éducation de nos enfants, de notre conduite au volant à notre conduite tout court, de nos choix éthiques à nos choix politiques, tous dépendent de notre philosophie. A chaque instant, c’est elle qui définit le juste et l’injuste, le bien et le mal, l’acceptable et l’inacceptable, le désirable et l’indésirable, le fréquentable et l’infréquentable, le pardonnable et l’impardonnable, l’essentiel et le superflu.


Honnête ou malhonnête, éclairée ou obscurantiste, c’est elle qui fait notre bonne et notre mauvaise conscience. C’est-elle qui détermine nos valeurs et nos priorités. C’est elle qui fait notre vision du monde. Et nous avons tous une vision du monde.


« On croit quelquefois que les idées ne sont que des idées, c'est-à-dire des concepts abstraits et sans conséquence mais, dans son histoire de la raison, François Châtelet nous explique tout le contraire. Il nous montre comment des philosophes comme Platon, Aristote ou Marx, des penseurs qui réfléchissent depuis chez eux, peuvent soudain faire basculer le destin du monde et des civilisations. » rappelait l’astrophysicien Hubert Reeves[3]



Les caméléons


Pourtant, quelle que soit l’importance de la philosophie sur nos vies, ne soyons pas dupes. Pas plus que l’utilisation d’objets issus de la science ne fait de nous des scientifiques, l’appropriation de pensées issues de la philosophie ne fait de nous des philosophes.


« Notre philosophie repose le plus souvent sur la doxa c'est-à-dire sur ces stéréotypes culturels et sur ces opinions qu’on accepte sans réfléchir. » explique Boris Cyrulnik.


Comme on succombe aux tentations du prêt à porter, nous cédons bien vite aux sirènes du prêt à penser. On a tôt fait de se glisser dans la philosophie d’un autre et de parader fièrement, parfois avec véhémence et exaltation, dans ce drôle d’accoutrement. Comme des caméléons, nos idées prennent souvent la couleur de leur milieu.


Alors, méfions-nous des copies et des contrefaçons. Puisqu'elle doit déterminer nos vies, sentons-nous libre de construire notre propre philosophie. La pensée la plus juste ne sera pas nécessairement la pensée plus répandue ni la plus largement partagée.


Sentons-nous libre de construire nos propres valeurs et notre propre existence. Sentons nous libre d'imaginer le monde idéal… Celui dans lequel nous avons envie de vivre.




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[1] Pour des décisions plus rapides et plus efficaces, les biais cognitifs sont ces raccourcis mentaux – indispensables à notre vie et à notre survie – qui consistent à déléguer à nos émotions, à nos instincts et à nos préjugés le pouvoir de trancher. Entendu dans l’émission « Les matins de France Culture » où était invité Stephen Pinker, spécialiste en sciences et en psychologie cognitives. Emission diffusée le 4 novembre 2021 sur France Culture.

[2] Entendu dans la série d’émission "François Châtelet: une histoire de la raison" enregistrée en 1992 et rediffusée sur France Culture entre le 31 mai et le 4 juin 2021.


[3] Entendu dans l'émission "Raison et philosophe" rediffusée dans les nuits de France Culture le 3 mai 2022

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