On pourra croire à peu près n'importe quoi pourvu qu'on nous l'enseigne suffisamment tôt.
Amish, mennonites, mormons, juifs orthodoxes, catholiques intégristes, témoins de Jéhovah, extrémistes en tous genres, politiques ou religieux … on se moque parfois de ces communautés repliées sur elles-mêmes. Toutes convaincues de détenir une vérité universelle, définitive et absolue. Nous les regardons de loin, comme des mondes étrangers, mais nous oublions ce qu'elles nous disent de nous-mêmes.
Les vérités de l'enfance
Les enfants qui naissent dans ces communautés ne sont pas différents des enfants que nous étions. Qui que nous soyons et quelles que soient nos cultures, c’est toujours la même mécanique qui se répète. D'abord, l'esprit, souple comme une glaise humide, ouvert à tous les possibles, commence par croire tout ce qu'on lui raconte puis, peu à peu, il se dessèche. Il se pétrifie. On ne peut plus lui faire changer de forme sans risquer de le briser.
C’est qu’on se fige un peu trop vite dans les vérités de l’enfance. Enfant, on est un peu trop malléable. Adulte, on ne l’est plus assez.
La plasticienne, Fabienne Verdier, racontait ce jour où, dans une région reculée de la Chine, elle risqua sa vie pour s’être saisie de la longue natte d’un représentant du peuple Yi. Elle ignorait que chez les Yi, l’homme devenait détenteur d’un droit de vie de mort sur la femme qui touchait sa natte.[1]
Sous l’influence de ma culture et de ses croyances, je pourrai me sentir coupable. Parfois pour toujours. Coupable de consommer du cochon, coupable d’appeler un ascenseur les jours de Shabbat, coupable de toucher une natte ou, de façon plus radicale, coupable – dès ma naissance – du pécher originel, coupable de la crucifixion du Christ, coupable d’exister.
Si nous étions nés parmi les Aztèques, alors nous aurions probablement trouvé normal de pratiquer, chaque jour, quelques dizaines de sacrifices humains (environ 20.000 par an nous disent les historiens) pour garantir le lever du soleil.[2]
Si nous avions vécu sous la Grèce antique, comme le préconisait lui-même Aristote, l’élimination des nouveaux nés atteints de malformations ne nous aurait probablement causé aucun problème de conscience. [3]
Si nous avions compté parmi le grands bourgeois du XIX siècle, nous n’aurions probablement pas compris l’ambition d’une jeune fille soucieuse de suivre des études. [4]
Le cabinet des curiosités
Avec un brin de naïveté, nous avons tendance à considérer nos cultures comme des aboutissements, comme des points finaux dans le cheminement de la pensée. Mais elle ne sont que des étapes, des lieux de transit. Bien loin de la vérité substantielle des choses, toute culture est une représentation subjective du monde. Une exploration qui chemine entre ombre et lumière. Un miroir déformant et éphémère. Une quête. Une fantaisie du moment. Une création furtive promise aux livres d'histoire, aux musées et aux cabinets de curiosités. Une péripétie qui, bientôt, provoquera le rire ou l'étonnement.
Savoir que ma culture deviendra bientôt un objet d’étude ou un motif de rire ou d’étonnement, c'est comprendre qu'il est peut-être temps de ne pas me confondre avec elle. C'est comprendre qu'il est peut-être temps de voir plus grand et de concevoir un projet plus ambitieux pour aller chercher la vérité ailleurs. Au-dedans et au-delà de toutes les cultures.
Comme un trou de serrure, toute culture est une belle entrée de lumière. Mais, pour connaître et pour comprendre le monde, pouvons-nous nous contenter d’un si petit orifice ? Nos cultures portent en elles le meilleur et le pire. Le meilleur lorsqu’elles nous éclairent des lumières du passé. Mais le pire lorsque ces lumières se font trop éblouissantes et nous empêchent d’avancer. Il ne tient qu’à nous de prendre le meilleur et de refuser le pire.
Une empreinte indélébile
Pour autant, qu’on me comprenne bien. Qu’on grandisse sur la colline de Ménilmontant, 30 ans passés parmi les Yanomamis ne feront pas de nous des indiens du Brésil. Ni l'odeur du métro des Lilas, ni l'ambiance des bistrots les soirs de printemps, ne nous quitteront jamais. Au fond de nous, survivra toujours ce petit garçon ou cette petite fille qui respirait l’air des Buttes Chaumont et celui de la démocratie.
De la même manière, qu’on grandisse les pieds-nus, au milieu d'une tribu d'Amazonie, 30 ans de vie parisienne ne suffiraient pas à nous faire oublier l'âme de la forêt, ni l'esprit de nos ancêtres, ces valeureux guerriers élevés dans le culte et le respect de la nature.
C'est toujours en vain qu’on croit échapper à l'emprise affective et émotionnelle de sa culture. On ne parvient jamais totalement à sortir du costume de ses origines. Nos cultures sont des empreintes indélébiles. Le pli marqué sur une feuille de papier. Celui qui ne s'effacera jamais. Elles sont l'héritage définitif des premières années. Celui auquel on ne renonce pas. Cette maison qu'on ne choisit pas mais dans laquelle il faudra passer toute sa vie.
« Vivre partout c'est vivre nulle part » disait Montaigne.[5]
On pourra aimer passionnément sa culture, on pourra ressentir ce lien indélébile qui nous unit à elle, mais le véritable amour, le plus solide, n'est-il pas celui qui aime sans être dupe? Un proverbe nous dit « qu'un ami c'est quelqu’un qu'on connaît bien et qu'on aime quand même ». Nos cultures, c’est la même chose.
« Je me méfie de l'amour des origines qui rime souvent avec fierté des origines car entre le sentiment de fierté et le sentiment de supériorité il n'y a qu'un pas. On a tôt fait de croire que nos origines valent mieux que celles du voisin. » disait Jean-Pierre Bacri [6] .
Aimons nos cultures mais avec modération, sans jamais renoncer à suivre notre propre chemin. Sans jamais renoncer à apprendre de toutes les autres cultures. Toutes ces cultures qui ne sont pas les miennes mais qui auraient pu l'être. De la même manière. On pourra croire à peu près n'importe quoi pourvu qu'on nous l'enseigne suffisamment tôt.
Des Buttes Chaumont aux forêts d’Amazonie, un jour ou l’autre, toutes les terres se couvrent de brume.
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[1] Entendu dans l'émission « Les chemins de la philosophie » animée par Adèle Van Reeth, diffusée sur France Culture le 10 juin 2015 et écoutée en podcast le 9 décembre 2021.
[2] Entendu dans l’émission « Science Grand Format » diffusée sur France 5 le 30 juin 2022.
[3] Entendu dans l’émission « Les âges de la vie » diffusée sur Arte le 9 juillet 2022.
[4] Entendu dans l’émission « Blum et ses premières ministres » diffusée sur France 5 le 11 juillet 2022. [5] Entendu dans l' « A voix nue » diffusée sur France Culture le 10 septembre 2020.
[6] Entendu dans l'émission consacrée au scénariste et comédien Jean-Pierre Bacri et diffusée sur France 3 le 14 janvier 2022.
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